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Le Banquet (en Grec ancien Sumpósion) est un texte de Platon écrit aux environs de 380 avant J.-C. Il est constitué principalement d’une longue série de discours portant sur la nature et les qualités de l’amour (eros). Tò sumpósion en grec est traduit traditionnellement par le Banquet ; ce terme désigne ce que l'on appelle aujourd'hui une « réception », une fête mondaine dans laquelle on boit généralement plus qu'on ne mange.
Présentation
Le Banquet dans l’oeuvre de Platon
Le Banquet est avec le
Phèdre, un des deux dialogues de
Platon où le thème majeur est l'
Amour. Dans ce texte se manifeste la générosité de Platon qui fait entendre des voix différentes pour parler de l'amour. La mise en scène est étonnante et drôle. L'interprétation de
Leo Strauss et de
Stanley Rosen insiste particulièrement sur l'aspect tragi-comique de ce dialogue, qui est en réalité la réponse philosophique de Platon aux accusations portées par la Cité contre la philosophie. Que la place centrale dans ce dialogue ait été dévolue à Aristophane n'est pas une affaire fortuite.
Introduction
Dans le Banquet, les paroles des personnages ne sont pas directement retranscrites. Platon ne les rapporte pas non plus en tant que narrateur, et préfère se servir d'un intermédiaire, Apollodore. Il raconte en effet comment Apollodore vient à refaire le récit de cette soirée, en rapportant toutes les paroles importantes qui y furent échangées. Cependant ce compte-rendu manque de précision, comme le fait remarquer Stanley Rosen dans son commentaire, puisque les remarques sur l'oubli ou la difficulté de se remémorer sont nombreuses tout au long du dialogue.
Platon écrit vers 385, mais il situe le récit d'Apollodore 20 ans auparavant, vers 405 (la Guerre du Péloponnèse, qui a opposé Sparte à Athènes, s'est achevée en 404, par la défaite d'Athènes), tandis que onze années ont passé depuis la fameuse réception de 416. Apollodore lui-même n'était pas chez l'hôte Agathon. Il tient son récit d'un autre disciple de Socrate, Aristodème, qui l'accompagnait.
La multiplication de témoins intermédiaires a pour but de signaler au lecteur que le texte qu’il lira n’est pas la retranscription exacte de la soirée, mais de l’essentiel de ce qui a été dit. Le Banquet est donc une adaptation libre et dramatiquement très élaborée d'une soirée mémorable. On peut ajouter qu'une enquête rapide sur le caractère des personnages que sont Aristodème et Apollodore en dira un peu plus sur la manière dont ils entendent jouer leur rôle d'intermédiaire entre les auditeurs et cette soirée à laquelle personne, parmi les auditeurs présents, n'a assisté.
Intermédiaire se dit en grec metaxu: Apollodore et Aristodème vont être les metaxu d'un daimon (érôs) qui est lui même le metaxu par excellence.
Le lecteur aura soin de prendre garde que sous la forme tragi-comique, Platon fera dévoiler par les protagonistes de son dialogue les mystères d'Éros. Un des personnages présents de ce dialogue, qui va faire l'éloge du philosophe Socrate, est aussi celui qui aura eu dans sa vie à supporter l'accusation de sacrilège pour avoir mutilé les statues des Hermès. Aux révélations des mystères d'Éros, on peut donc ajouter ici les révélations sur Socrate, formulées par un politicien ivre, Alcibiade, bientôt poursuivi pour sacrilège.
Les circonstances du dialogue
Quelles circonstances donnent lieu à toutes ces paroles sur l'amour ? Le jury d’un festival a
couronné la première tragédie du jeune Agathon. Pour célébrer sa victoire, Agathon organise
une grande fête le soir même, qui se termine en beuverie.
Le lendemain, il donne à nouveau une réception, mais plus intime, plus calme, en invitant des personnalités importantes à fêter son succès. À l'initiative de Phèdre, relayé par Eryximaque, chacun est invité à faire à son tour un éloge de l'amour, ce qui selon lui n'aurait jamais été fait.
Le Banquet est donc l'histoire de cette longue nuit, où on entend se succéder ces éloges, ainsi que les discussions et les multiples incidents qui interrompent le protocole.
Les 7 personnalités
Apollodore fait le récit, mais les personnages principaux du dialogue sont :
- Agathon, jeune poète couronné, disciple de Gorgias, et organisateur de la réception
- Aristophane, auteur comique à succès
- Pausanias, amant d'Agathon
- Eryximaque, médecin érudit et fat
- Socrate, qui invoquera Diotime qui l'a initié à la pensée de l'amour ; Socrate est accompagné de son disciple Aristodème
- Phèdre, jeune Athénien brillant
- Alcibiade, exubérant, encore amoureux de Socrate, qui arrive sur le tard, et ivre
De nombreuses autres personnes sont présentes, mais elles n'ont pas de rôle majeur au cours de la réception.
Chronologie
Plus de dix ans après que cette réception eut lieu, Apollodore relate en détail, à qui veut l’entendre, tout ce qui s’est passé et dit lors de cette réunion, tel qu’il l’a appris d’Aristodème qui était présent puisqu’il accompagnait Socrate.
- Socrate se fait beau, il invite Aristodème à l’accompagner
- Socrate en retard, Aristodème arrive seul
- Début du repas
- L’arrivée tardive de Socrate, Agathon le place à sa droite
- A la fin du repas, rejet de l’ivresse pour une discussion réglée par Eryximaque : chacun à son tour fera l’éloge de l’amour, selon l’envie de Phèdre
- Le jeune Phèdre inaugure le premier éloge de l’amour (I)
- Plusieurs éloges non rapportés par Aristodème
- L’éloge de l’amour vertueux par Pausanias (II)
- Le hoquet d’Aristophane
- Eryximaque prend la parole à sa place, et fait un éloge très enflé (III)
- L’histoire des moitiés coupées (mythe des androgynes) par Aristophane (IV)
- Socrate met la pression sur Agathon et engage avec lui une discussion
- Phèdre rappelle la règle imposée, de parler tour à tour
- L’éloge de l’amour par Agathon (V)
- Socrate questionne Agathon sur son discours
- Socrate rapporte l’enseignement de Diotime (VI)
- Arrivée impromptue d’Alcibiade ivre
- Alcibiade se place entre Agathon et Socrate, couronne l’un puis l’autre
- Eloge de Socrate par Alcibiade (VII)
- Socrate convainc Agathon de se remettre à côté de lui pour qu’il fasse son éloge à son tour
- Arrivée impromptue d’une bande de buveurs qui sème le désordre
- Tous sont obligés de boire, finissent par partir ou s’endormir
- Au réveil d’Aristodème, le soleil est déjà levé, seuls Socrate, Aristophane et Agathon sont encore éveillés
- Socrate termine une discussion sur l’identité de la comédie et la tragédie avec Aristophane et Agathon qui finissent par s’endormir
- Socrate et Aristodème repartent
- Socrate ne se couchera que le soir venu
Le jeu des places musicales
Les changements successifs de places autour d'Agathon :
- AGATHON - ARISTOPHANE
- AGATHON - SOCRATE - ARISTOPHANE
- AGATHON - ALCIBIADE - SOCRATE - ARISTOPHANE
- ALCIBIADE - SOCRATE - AGATHON - ARISTOPHANE
Au début, c’est le poète reconnu Aristophane qui a la place d’honneur, à droite d'Agathon. Aristodème le disciple de Socrate arrive avant lui, Agathon l’installe à une modeste place. Puis Socrate finit par arriver au milieu du repas et Agathon l’invite à s’asseoir juste à côté de lui. Il prend donc la place d’Aristophane. Puis arrive Alcibiade en plein milieu des discussions, il ira s’asseoir entre Agathon et Socrate, séparant les deux, et volant ainsi la place d’honneur à Socrate. Puis Agathon, invité par Socrate, revient à sa droite. Il vole la place d’honneur à Alcibiade, mais il a fallu pour cela que Socrate devienne l’hôte à la place d’Agathon. Au matin, les seuls à ne pas encore dormir sont l’hôte Agathon et ses deux invités d’honneur, Aristophane et Socrate. Mais Socrate finit par endormir ses deux interlocuteurs, Aristophane, puis Agathon. Là encore, il vole le rôle d’hôte à Agathon, puis repart en compagnie d’Aristodème qui s’est réveillé.
On remarquera aussi qu'Aristophane échange son tour avec Eryximaque, car il est pris d'un hoquet. Lacan retient ce hoquet comme l'élément déterminant du Banquet, dans son séminaire sur le transfert.
Les 7 discours
Discours de Phèdre
C'est Phèdre qui prononce le premier discours.
Éros, dit-il, est un Dieu important, admirable surtout par son origine : il est le plus ancien et n'a ni père ni mère. D'abord, il y eut le chaos, puis la Terre et Éros. Étant le plus ancien, il est pour nous la source des biens les plus grands, car le principe qui doit inspirer les hommes qui cherchent à vivre comme il faut, c'est l'Amour. En effet, la honte est liée à l'action laide, la recherche de l'honneur est liée à l'action belle : sans cela, il n'y a ni cité, ni individu pour réaliser des grandes et belles choses. Or, si on formait une Cité ou une armée avec des amants et leurs aimés, chacun rejetterait ce qui est laid, et il y aurait émulation dans la recherche de l'honneur. Combattant ensemble, ils vaincraient l'humanité entière, car toute lâcheté est impossible quand on est prêt à mourir par amour. Enfin, celui que les dieux admirent le plus et honorent, c'est le sentiment de l'aimé pour l'amant : l'amant est plus divin, inspiré par les dieux.
Discours de Pausanias
Après quelques autres discours, vient celui de Pausanias.
Selon lui, il y a en réalité plusieurs Éros ; pour lequel faire un éloge ? Il n'y a pas d'Aphrodite sans Éros ; or, il y a deux Aphrodite, donc il y a deux Éros. La plus ancienne Aphrodite, fille d'Ouranos, est la Céleste, l'autre est la vulgaire (Aphrodite Pandémos c'est-à-dire populaire). Or, une action n'est ni belle ni laide en elle-même, c'est la façon de l'accomplir qui la rend belle : donc Éros n'est pas indistinctement beau, seul est digne d'éloge celui qui incite à l'amour.
Éros vulgaire
L'Éros vulgaire aime l'aventure : il aime les
femmes comme les garçons, les
corps. Il recherche des partenaires peu intelligents, car seul son but lui importe. Il fait l'
Amour au hasard, sans se demander si son action est bonne.
L'Éros vulgaire c'est l'amour physique et superficiel en opposition à l'Aphrodite céleste qui est l'amour des âmes, l'amour pur.
Éros céleste
L'autre Éros se rattache à l'Aphrodite céleste. Celle-ci s'adresse aux garçons et n'est pas insolente. Un tel Éros inspire en effet l'amour du sexe le plus fort et le plus intelligent. Mais il faudrait des règles de conduite pour éviter les comportements intempestifs des amants vulgaires. Chez certains l'homosexualité n'est pas honteuse, mais pour d'autres, elle est honteuse. Pour nous, prenons en considération les trois points suivant :
- il est plus convenable d'aimer ouvertement et d'aimer des gens de meilleure famille, de haut mérite ;
- celui qui est amoureux doit recevoir des encouragements : s'il fait une conquête, c'est une belle chose, s'il échoue, c'est honteux ;
- on a toute Liberté d'entreprendre une conquête, et l'extravagance n'est pas dans ce cas blâmée : on admet une forme d'esclavage inacceptable dans d'autres circonstances. L'amoureux peut même ne pas tenir ses promesses : un serment d'amour n'est pas un vrai serment. L'amoureux a donc une totale liberté.
Pourtant, on fait des reproches aux aimés, on les empêche de parler à leurs amants. C'est qu'une action est belle si on se conduit comme il faut, honteuse autrement ; par exemple, céder à quelqu'un qui n'en vaut pas la peine, à l'amant vulgaire qui aime surtout le corps. Cet amant n'a pas de constance ; celui qui aime un caractère qui en vaut la peine reste un amant toute sa vie car il s'est fondu avec quelque chose de constant. La règle sera donc que l'amant poursuive et que l'aimé fuit : le Temps qui passe sera en effet un excellent révélateur.
Il n'y aura donc qu'une seule voie pour l'aimé de céder de belle manière, par l'esclavage volontaire à la vertu, car si l'on accepte d'être au service de quelqu'un pour devenir meilleur, cela n'est pas honteux. L'amant et l'aimé ont alors le même but : la Justice, devenir bon, être sage. Cela oblige l'amant et l'aimé à prendre soin d'eux-mêmes pour devenir vertueux. Le reste appartient à l'Aphrodite vulgaire.
Remarquons qu'Aristophane passe son tour car il a le hoquet. Il occupera donc ultérieurement la place qui ne lui revenait pas à l'origine.
Discours d'Éryximaque
Éryximaque (dont le nom signifie :
celui qui combat le hoquet), médecin, reprend la distinction des deux Éros en la rapportant à son art; il est le prototype du parfait positiviste, de l'homme de science :
pour lui, la distinction des deux Éros est bonne, mais elle ne concerne pas seulement les âmes des êtres humains : cela concerne toute chose qui recherche autre chose, comme le montre la Médecine. Favoriser ce qu'il y a de bon et de sain dans chaque corps est Beau, et c'est cela la médecine, car elle est la Science des opérations de remplissage et d'évacuation du corps que provoque Éros. En conséquence, celui qui distingue le bon Éros est un médecin accompli. Il doit savoir en outre faire apparaître l'affection et l'amour mutuels entre les choses qui sont en conflit : froid, chaud, sec, humide, etc. C'est en établissant l'amour et la concorde entre ces choses qu'Asclépios à fondé la médecine. La médecine, la Gymnastique, la Musique sont gouvernées par ce dieu. En musique on réalise un accord par une opposition entre l'aigu et le grave : la musique crée l'amour mutuel, dans l'ordre de l'harmonie et du rythme, c'est une science des phénomènes de l'amour.
Il faut donc partout sauvegarder l'un et l'autre amour : l'Éros bien réglé apporte l'abondance et la santé, et l'Éros de la démesure provoque de nombreuses destructions (épidémies, etc.). Le déséquilibre dans les relations frappe les animaux et les plantes. De même, dans la communication entre les dieux et les hommes, il faut établir un lien d'amour par l'observation des lois divine, ce qui est la piété.
La puissance d'Éros est universelle, et la modération et la justice donnent le bonheur et rendent possible le commerce et l'amitié.
Aristophane, n'ayant plus le hoquet, commence son discours.
Discours d'Aristophane
Les hommes ne se rendent pas compte du pouvoir d'Eros, sinon ils lui auraient élevé les temples les plus imposants. Nul dieu n'est mieux disposé à l'égard des humains.
Qu'était la nature humaine, et que lui est-il arrivé ? Notre nature était autrefois différente : il y avait trois catégories d'êtres humains, le mâle, la Femelle, et landrogyne. De plus, la forme humaine était celle d'une sphère avec quatre mains, quatre jambes et deux visages, une tête unique et quatre oreilles, deux sexes, etc. Les humains se déplaçaient en avant ou en arrière, et, pour courir, ils faisaient des révolutions sur leurs huit membres. Le mâle était un enfant du soleil, la femelle de la terre, et l'androgyne de la lune. Leur force et leur orgueil étaient immenses et ils s'en prirent aux dieux. Zeus trouva un moyen de les affaiblir sans les tuer, ne voulant pas anéantir la race comme il avait pu le faire avec les Titans : il les coupa en deux. Il demanda ensuite à Apollon de retourner leur visage et de coudre le ventre et le nombril du côté de la coupure.
Mais chaque morceau, regrettant sa moitié, tentait de s'unir à elle : ils s'enlaçaient en désirant se confondre et mouraient de faim et d'inaction. Zeus décida donc de déplacer les organes sexuels à l'avant du corps. Ainsi, alors que les humains surgissaient auparavant de la terre, un engendrement mutuel fut possible par l'accouplement d'un Homme et d'une Femme. Alors, les hommes qui aimaient les femmes et les femmes qui aiment les hommes (moitiés d'androgynes) permettraient la perpétuité de la race; et les hommes qui aiment les hommes (moitiés d'un mâle), plutôt que d'accoucher de la vie, accoucheraient de l'esprit. Ces derniers sont selon Aristophane les êtres les plus accomplis, étant purement masculins.
L'implantation de l'amour dans l'être humain est donc ancienne. C'est l'amour de deux êtres qui tentent de n'en faire qu'un pour guérir la nature humaine : nous sommes la moitié d'un être humain, et nous cherchons sans cesse notre moitié, de l'autre sexe ou du même sexe que nous.
Quand nous rencontrons notre moitié, nous sommes frappés d'un sentiment d'affection et d'amour : nous refusons alors d'en être séparés. Qu'attendent-ils donc, ceux qui passent leur vie ensemble ? Ce n'est certes pas la jouissance sexuelle. C'est quelque chose que souhaite l'âme, qu'elle ne saurait exprimer ; et pourtant elle le devine : ce qu'elle souhaite, c'est se fondre le plus possible dans l'autre pour former un même être. C'est cela que nous souhaitons tous, nous transformer en un être unique. Personne ne le refuserait, car personne ne souhaite autre chose.
Le nom d'amour est donc donné à ce souhait de retrouver notre totalité, et Eros est notre guide pour découvrir les bien-aimés qui nous conviennent véritablement. Le bonheur de l'espèce humaine, c'est de retourner à son ancienne nature grâce à l'amour, c'est là notre état le meilleur. Eros nous sert en nous menant vers ce qui nous est apparenté, il soulève en nous l'espoir de rétablir notre nature et de nous donner la félicité et le Bonheur.
Discours d'Agathon
Les discours précédents n'ont pas dit, selon
Agathon, ce qu'est le
Dieu lui-même. Il faut donc expliquer sa
Nature pour en faire l'éloge.
Eros est le plus heureux des dieux, car il est le meilleur et le plus Beau. Il est toujours jeune et fuit la vieillesse ; il est le plus jeune des dieux. Son règne est le règne de la concorde et de la Paix, par opposition à l'ancienne nécessité et aux actes violents qui en découlaient.
Il est également un dieu délicat et n'aime la compagnie que de ce qui est tendre dans les âmes. Il fuit donc les caractères durs. Sa constitution est ondoyante et harmonieuse, il possède la grâce par excellence : il vit parmi les fleurs et les parfums.
Eros exclut donc toute violence : il ne commet pas l'injustice, il ne la subit pas. Au contraire, en toute circonstance, chacun l'assiste. Il est modéré et tempérant car il domine les désirs. C'est un Poète savant, créateur universel qui transforme en poète celui qu'il touche. Il a également un savoir dans la fabrication des êtres vivants, savoir qui fait naître et grandir tout ce qui vit. Dans la pratique des arts, c'est par désir et amour qu'Apollon inventa le tir à l'arc, la divination, etc. Tous les dieux sont donc des disciples d'Eros. Enfin, ce dieu nous interdit la croyance que nous sommes étrangers les uns aux autres : grâce à lui, nous appartenons à une même famille.
Ce discours est très applaudi. Socrate prend ensuite la parole.
Discours de Socrate
Nature d'Eros
Le discours de Socrate a une double signification. Il est d’abord discours sur l’amour, sur l’amour sensuel et sur l’amour « spiritualisé », sur l’amour de l’Idée de la Beauté. Mais c’est aussi un discours sur le philosophe ou plus précisément sur la figure du philosophe comme amant, comme celui qui a réussi à passer de l’amour des beaux corps à l’amour de la Beauté elle-même. Mais Socrate est d'abord embarrassé. Il s'exprime avec son ironie habituelle : il croyait qu'il fallait dire la vérité sur ce dont on fait l'éloge ! Or, il comprend qu'en fait il faut lui donner de grandes qualités, même s'il ne les a pas. Il décide de parler à sa façon en s'adressant à Agathon.
Il est vrai que pour parler d'Eros, il faut en découvrir la nature. L'amour est-il amour de quelque chose ou de rien ? Il est désir de quelque chose, et s'il éprouve ce désir, c'est sans doute car il manque de ce qu'il désire, car on ne peut désirer ce qu'on possède. Eros n'est donc ni beau ni bon.
C'est à ce moment que Socrate rapporte le discours le plus platonicien du dialogue, discours où il raconte son entretien avec une prêtresse qu'il tient pour sage, Diotime, à propos d'Éros. La femme lui enseigne qu'Éros n'est pas un dieu, mais un « daïmon » (rien à voir avec nos "démons"), un être mi-homme mi-dieu : il ne dispose certainement pas des qualités qu'on lui attribue généralement, comme la beauté, puisqu'il les recherche. C'est donc un être intermédiaire. Ainsi l'amour est-il philosophe, ni sage ni ignorant, mais cherchant la connaissance.
Procréation, immortalité et gloire
Enfin Diotime initie Socrate au secret d'Eros : tous les êtres cherchent à se reproduire ; l'instinct sexuel est l'expression la plus immédiate de ce désir d'immortalité. La production d'oeuvres et la législation en sont les expressions les plus hautes. Diotime est celle qui connait le mieux l'amour, en effet elle est une femme qui peut donc enfanter et c'est grâce à cela qu'elle est donc la seule à pouvoir correctement le définir à travers Eros. Mais tout comme le désir de procréer peut prendre deux formes de la même façon l’amour et la sexualité peuvent avoir deux formes. La forme la plus basse d’amour est l’amour entre homme et femme qui repose uniquement sur la sexualité. La forme la plus haute d’amour est l’amour entre hommes selon Diotime car il ne vise pas seulement le corps de l’autre, mais correctement dirigé et compris, ne voit dans l’amour de la beauté physique qu’une étape vers l’amour de la Beauté et du Bien. L’amour entre hommes est donc supérieur dans la mesure où une fois transcendé il mène à l’Idée de Bien et de la Beauté.
Arrivée et discours d'Alcibiade
Alcibiade survient et, après une scène de jalousie, entreprend de faire l'éloge de Socrate, i.e. du philosophe, du dieu Eros lui-même. Socrate, dit-il, est un être excentrique qui nous trouble par sa parole : « les discours de la philosophie blessent plus sauvagement que la vipère. » Devant lui, j'ai honte de céder à l'attrait des honneurs. Il se donne l'air de ne rien savoir, mais à l'intérieur de ce silène se cache quelque chose de divin et de précieux.
Socrate répond qu'Alcibiade pourrait s'illusionner, car « je ne suis rien. »
Aucun humain ne peut être comparé à Socrate : tempérant, courageux même dans la déroute, il prononce des discours extérieurement ridicules mais divins et vrais.
Alcibiade fait preuve d'une certaine arrogance car il est l'amant de Socrate ("tu es le seul amant digne de moi"). Socrate lui répond qu'il pourrait s'illusionner de si "peu de valeur".
Tout au long de son discours Alcibiade nous fait la démonstration de ce qu'est l'amour platonique : caractère pur, recherche de l'idéal ; dégagé de toute sensualité. L'amour est le désir de l'absolu. L'amour platonique est le rejet "des beautés réelles" au profit "des beautés imaginaires".
Dans le chapitre XXXIV Alcibiade fait le récit d'une nuit avec Socrate. Alcibiade lui reproche son "hésitation à se déclarer". Lui avoue ses sentiments et qualifie Socrate d'"être merveilleux et divin".
Ce qu’il faut retenir du discours d’Alcibiade est la comparaison qu’il tire implicitement entre Socrate et Eros tel qu’il est dépeint dans le discours de Diotime. Tous deux sont ignorants mais tendent vers le savoir, se trouvent entre les hommes et les Dieux. C’est pourquoi Socrate et Eros montrent ce qu’est un individu qui tend vers la sagesse (sophia) car ils savent ne pas la posséder. Le Banquet n’est donc pas seulement un dialogue sur l’amour mais aussi un dialogue sur la philosophie et sur Socrate.
C'est la fin du banquet ; il se termine en beuverie. Le matin, Agathon, Aristophane et Socrate discutent de l'art de la tragédie. Agathon et Aristophane finissent par s'endormir. Socrate s'en va, passe tranquillement sa journée et rentre chez lui le soir se reposer.
Bibliographie
- Allan Bloom. L'Amour et l'Amitié. Traduction française par Pierre Manent de Love and Friendship. De Fallois, 1996. Édition en poche Biblio-Essais, 2003. 821 pages. Le chapitre qui forme le commentaire du Banquet de Platon occupe les pages 641-814.
- Stanley Rosen. Plato's Symposium. Yale University Press, 1968. Réédition par Saint Augustine's Books, South Bend, Indiana (U.S.A.), 1999. XXXVII-362 pages. ISBN : 1-890318-64-7 (En anglais)
- Platon, Plato's Symposium. Chicago University Press, 2001. Édition par Seth Benardete du texte du Banquet de Platon (en anglais). Cette édition comporte le texte de Bloom L'Échelle de l'Amour (paru originellement dans Love & Friendship) et un texte de Benardete publié antérieurement en allemand par le Carl Friedrich von Siemens Stiftung de Munich.
- Léon Robin, La théorie platonicienne de l'amour. Paris, Presses Universitaires de France, 1933. Réédition 1964. 189 pages. Il s'agit d'une analyse du Lysis, du Banquet et du Phèdre.
- Leo Strauss, On Plato's Symposium. University of Chicago Press, 2003. 320 pages. ISBN : 0226776867. Il s'agit de la transcription du cours que LS fit en 1959 à Chicago sur le Banquet de Platon. Ce volume a été traduit en français et publié par O. Sedeyn aux Éditions de l'Éclat, 2006. 334 pages. ISBN : 2-84162-105-7.
- Marsile Ficin, "commentarium in convivium Platonis, de amore". Les belles lettres, 2002. Edition bilingue Francais et Latin. Commentaire de chaque discours du Banquet, vu sous un angle néo-Platonicien. C'est un classique chez les commentateurs de Platon.
Voir aussi
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